Publié le : 30/05/2017 15:28:54
Catégories : Nouveautés
Les circonstances d’une rencontre :
J’ai le bonheur de collaborer étroitement avec les Éditions du Tourneciel pour la conception des livres des différentes collections. Mon travail intègre notamment la création d’un visuel pour illustrer la couverture. Si celui-ci est soit une photographie, soit un dessin original - réalisé à l’encre de chine – il peut aussi être conçu à partir d’une photographie ou d’une oeuvre graphique de l’auteur lui-même.
Alors qu’il s’agissait de trouver la bonne image pour la couverture du recueil de poésie de Gérard Freitag, apparut comme une évidence la concordance de nos regards. À tel point que Gérard a imaginé ouvrir chaque section de poèmes par une de mes photographies. En a découlé le classique jeu d’échange de propositions, de sélections et d’ajustements.
L’entretien qui suit constitue d’une certaine manière la continuité de ces échanges, mais aussi une manière rétroactive de mettre des mots sur des intuitions.
Olivier Klencklen
- Pourrais-tu te présenter en quelques mots, toi, ton parcours dans l’écriture ?
C’est difficile de se présenter soi-même. Mon parcours professionnel me dit que j’ai pratiqué deux professions bien distinctes : à l’Office National des Forêts en tant qu’agent technique puis à l’Éducation Nationale en tant que professeur agrégé. Mais ma petite voix intérieure me dit que je n’ai fait que suivre mon double attrait pour la nature et la littérature et que la synthèse était déjà bien faite avant. Quand j’étais gamin je parcourais la campagne. À la maison je dessinais des choses. Plus tard j’ai préféré les écrire. Il me semblait que cela témoignait mieux. Je pense que tout est venu de là.
- La nature apparaît clairement comme l’une de tes principales sources d’inspirations, sinon la source première. Tu peux le confirmer ?
C’est vrai : la nature est pour moi un espace d’inspiration. Je me méfie pourtant un peu du mot et ai été jusqu’à dire l’une ou l’autre fois que je ne voulais pas être un « chantre de la nature ». Cela signifie que voir la nature « agréable et jolie » de façon systématique, en quelque sorte selon une obligation morale, me paraît mièvre et inintéressant. J’aime la nature parce qu’elle suscite notre émotion, sans doute pour avoir été longtemps notre berceau mais aussi parce qu’elle s’accomplit selon des forces et des dimensions qui ne sont pas les nôtres, nous obligeant ainsi à faire vers elle un grand saut salutaire. C’est en cela qu’elle est source d’inspiration.
- Mais la culture est elle aussi très présente. Par des références à des artistes ou à des oeuvres ; des oeuvres littéraires, des références à la mythologie, mais aussi à des compositions musicales ou à des tableaux de grands peintres. On peut également deviner un bestiaire, à la fois réel et imaginaire, moitié évocations, moitié constellations.
Fait-il y voir une façon de réconcilier Nature et Culture ?, de tout concilier dans un universel ? Ou s’agit-il simplement de tes principales sources d’émerveillement ?
Pour ce qui est de la relation entre Nature et Culture, je voudrais dire surtout que la scission entre les sciences de la nature, dites exactes et les sciences dites humaines est une vieillerie artificielle et néfaste héritée du XIXème siècle positiviste. Elle n’a fait que nous conduire vers des impasses. Enfermer la création dans une abstraction auto-satisfaite de subjectivité ou priver l’exploration scientifique de l’imagination et de la sensibilité me semble également suicidaire. Je reste parfois stupéfait de constater que les deux mondes continuent à communiquer si mal et que la production romanesque en particulier continue à fonctionner largement selon des préoccupations humaines nombrilistes et pauvrement conventionnelles. La science actuelle nous ouvre pourtant d’immenses perspectives. La poésie est tout à fait apte à aller les rejoindre et à créer des ponts. Elle est par vocation association d’idées.
- Certains textes ressemblent à des méditations plus ou moins oniriques sur telle ou telle oeuvre, comme pour prendre part à leur transmission.
Leur transmission, je ne crois pas. Ce n’était pas en tout cas mon souci. Et ce n’est pas me semble-t-il la vocation de la littérature de s’appliquer à la transmission. Mais on peut faire bien sûr appel à des modèles qui nous inspirent et que l’on revisite. Je suis en particulier fasciné par Orphée. La figure d’Orphée associe poésie, nature, amour et culpabilité. C’est une constellation étonnamment riche et révélatrice, me semble-til. Orphée apparaît dans le recueil pour y être mis en parallèle avec une histoire liée à notre présent ou notre passé proche. Dans les deux cas le héros a commis une faute. Les deux histoires s’éclairent.
La préoccupation principale n’était toutefois pas la transmission mais l’utilisation d’un modèle pour lui faire signifier quelque chose de neuf. Dans le poème sur OEdipe je cherche même à faire dire au modèle le contraire de ce qu’on lui fait signifier d’habitude. Mon personnage n’a pas été la victime de la fatalité tragique mais a été lui-même l’auteur de son malheur par le refus des possibles qui lui étaient offerts. En tout cas c’est ainsi qu’il faudrait lire le poème selon moi. Dans un roman à paraître je parle de la même façon de la « logique du pire ».
- Tu nous offres un livre d’évocations, de compagnonnage fraternel. Nature et culture sont pour toi des compagnons de réconfort ?
J’aime beaucoup la notion de compagnonnage. L’une des sections du recueil se nomme « Emblèmes compagnons ». Après « Les vies éteintes » qui dépeint des destinées demeurées incomplètes ou avortées dans de décevants simulacres, après « La mêlée silencieuse » où l’on ne sait plus très bien qui l’on est, ni même si l’on est pour de bon, « Emblèmes compagnons » marque une remontée. Ce n’est pas étonnant.
Je crois que Martin Heidegger avait vraiment posé la meilleure des questions : « Pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas plutôt rien ? » Cela veut dire qu’il n’y a qu’une seule alternative : ou tout existe ou rien n’existe. Mais je ne peux sûrement pas exister seul. Je ne peux pas être là et tout le reste à côté de moi absent. Le « reste » répond exactement de la même façon à la même question que moi : « Présent/Absent ». Cette idée établit entre toutes les choses une immédiate et merveilleuse solidarité. La pierre, le fleuve, l’herbe, la constellation d’Orion me sont en quelque sorte compagnons puisque nous coexistons et si je les vois bel et bien exister, ils sont en mesure aussi de m’ôter un doute s’il le faut sur ma propre existence.
Et c’est aussi pourquoi ton travail d’illustrateur me semble précieux. Il ne se traduit pas par des répliques anecdotiques aux textes mais donne à voir un lien identitaire.
- On peut observer une diversité des formes, et même des mises en forme, est-ce un point important pour toi ? Qu’est-ce qui guide tel ou tel choix de forme et de présentation ?
« Aurores des lichens » est un cycle. Les poèmes suivent une démarche qui doit établir la nécessité de toujours renaître de soi-même. Les lichens apparaissent en cela exemplaires. Cette démarche a pourtant ses états. Les dix sections de poèmes que tu as chaque fois illustrées de façon étonnamment juste devraient en témoigner. À chaque étape correspond un état d’esprit et donc aussi une forme d’expression. Dans « Les pariétales » les vers sont très souvent des demi-alexandrins. Cette métrique rigoureuse s’est aussitôt imposée lorsqu’il s’agissait d’évoquer l’univers de la pierre intransigeante et pourtant bienveillante. Les vers devaient y paraître inscrits. Mais dans « Hors de la carte » où il s’agissait de faire paraître l’aspect insolite de notre réalité ordinaire, c’est la forme du petit poème en prose qui semblait la mieux adaptée. Dans « Emblèmes compagnons » je ne voulais pas que les compagnons soient nommés par la formule prédéterminée d’un titre mais qu’ils se nomment eux-mêmes dans le corps même du texte, par immanence en quelque sorte. C’était une façon de leur donner une existence propre. Ainsi de suite. Chaque étape du cheminement avait sa forme imaginaire et devait trouver aussi sa forme visuelle et prosodique. Le recueil le moins typé à cet égard est « Vie des lichens » parce qu’en avant dernière position, précédant le grand épanchement de « Trains et halos » il devait reformuler les enjeux sous une forme condensée.
- Tu parles beaucoup de rêve et évoques l’insomnie. Est-ce la nuit que tes textes se forment ?, comme des alternatives aux rêves ? Au bénéfice d’une torpeur où se mêlent les mots et les rêves ?
À vrai dire je ne sais jamais trop où les textes se forment et quand je les relis je suis souvent surpris de les avoir écrits. Il y a en cela une forme d’analogie avec le rêve nocturne. J’imagine assez souvent que celui-ci est organisé comme un puits de mine. Les mêmes rêves nous attendent peut-être à des profondeurs déterminées. Quand on redescend à des étages déjà visités d’autres fois on retrouve ce qui les habite. Le même rêve revient. Cela m’arrive assez souvent comme à d’autres sans doute. Mais c’est un labyrinthe dans lequel on peut peut-être aussi un peu circuler à l’état de veille.
- Le recueil repose sur deux modèles imaginaires : l'hiver et les lichens. Quelle est leur relation ?
L’hiver, c’est le lieu de l’épure et celui d’un « Avant » informulé et tout le temps disponible. L’un des premiers poèmes sur l’hiver est à nouveau repris et reformulé à la fin pour montrer qu’il s’agit bien d’un cycle de perpétuel renouvellement. Le temps ici n’est pas celui, linéaire, marqué par une naissance et une mort mais un temps circulaire, celui de la conscience toujours en train de se rebâtir à partir d’une vacuité préservée.
Les premières manifestations visibles d’une existence vivante dans la nature sont souvent les lichens. Ce sont des plantes d’une sobriété et d’une vitalité incroyable. C’est pourquoi ils ont pris dans le recueil la valeur d’un symbole. Leur structure circulaire ou ramifiée imposait elle aussi l’idée d’une poussée centrale justifiée par une autre exigence que celle du temps chronologique.
L’hiver et les lichens sont donc très proches selon ce point de vue.
- Au-delà de l’omniprésence de la nature, du vivant "sauvage", je relève également plusieurs évocations de la ville et des déplacements. Dans cette présence des villes je vois comme une réplique des formes de la nature… Peut-on y voir une structure commune aux lichens ? Tout n’étant plus qu’une question d’échelle ? Et une façon d'affirmer leur destin commun.
L’Homme ne peut pas s’abstraire de la Nature. Et même lorsqu’il s’y prend de façon violente et préjudiciable pour un ordre naturel harmonieux cela ne fait que montrer encore que c’est dans un même champ d’interactions déterminées que s’inscrit sa présence.
Destin commun oui. Oui et non. Oui ou non. Je crois que tout dépend de nous. On entend dire souvent que l’homme menace notre planète. Je ne crois pas du tout que cela va se jouer de cette façon-là. C’est la planète devenue invivable pour nous qui va nous éjecter s’il le faut pour faute à son égard récidivée. Et elle mettra alors tout le temps qu’il faudra pour se remettre de nous. Elle a sans doute bien plus de ressources que nous et de temps aussi devant et derrière elle pour pouvoir se soigner. C’est donc bien, comme tu le dis, d’un destin commun dont il s’agit.
C’est dans les villes, je crois, que le pari saute le plus fortement aux yeux. Et c’est sans doute aussi la raison pour laquelle je les ressens de façon tout à fait ambigüe. Elles me fascinent comme lieu idéal de l’épanouissement humain et m’angoissent par l’artificialité factice et envahissante dans laquelle elles se complaisent aussi. Mais je ne crois pas que dans le recueil cela apparaisse vraiment. C’est surtout l’idée d’une continuité ou d’une identité irréductible qui y est, me semble-t-il, çà et là perceptible. Et c’est aussi, je crois, ce que donnent à voir les illustrations.
Gérard Freitag,
Le 5 octobre 2016.
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